Rencontre avec Hélène Angel sur le tournage de son 3 ème long-métrage dans les environs de Chambery.
Claire et Benoît, la quarantaine, aisés, arrivent à la campagne dans une vieille maison familiale qu’ils vont rafraîchir pour la revendre au mieux. On sent l’imbroglio familial et les souvenirs enfouis s’annoncer comme ressorts dramatiques d’une agréable fresque à la française. Mais non !
Après "Peau d’homme, cœur de bête" et" Rencontre avec le dragon", Hélène Angel réalise une variation sur le thème de l’étranger qui dérange au plus profond de nous-mêmes.
Rencontre avec la réalisatrice et avec Charles Berling, le comédien qu’elle a choisi pour donner la réplique à Valérie Bonneton.
Cognin, « banlieue verte » et cossue de Chambéry. Tapie dans son parc, en-dessus d’une voie ferrée et d’un stade, une maison bourgeoise hors d’âge accueille l’équipe d’Hélène Angel. Sous un cèdre centenaire, une bétonnière tourne. Cette incongruité extérieure trouve sa réplique intérieure sous la forme d’une moquette hypnotique au motif « vasarélien ». Celle-ci recouvre l’escalier qui mène au premier étage, s’engage dans le couloir, entrave les pas des acteurs. Intrusion noire et blanche dans cette retraite provinciale, assoupie dans ses papiers peints délavés et ses boiseries à médaillons « scènes de chasse ». D’autres détails intrigants comme une énorme giclure noire sur un mur du salon confirment la prégnance des décors dans le scénario coécrit parJean-Claude Janer et Marie Garel-Weiss.
Pour le tournage, Hélène Angel a fait vider la maison de son riche mobilier. Ce n’est pas elle qui est « hantée », ce sont ses occupants. Le cliché n’aura pas lieu : la bétonnière et la véranda « en travaux » plaquée contre la façade bousculent une dramaturgie attendue. La maison raconte l’inconscient des personnages, qui cavale en sourdine. A la moquette froide et mentale à la Kubrick s’oppose le trou organique creusé sous la maison, par lequel s’introduit l’étranger. Un homme inconnu qui incarne les pulsions qui nous habitent secrètement. Quand Benoît découvre ce passage, il n’est plus lui-même. C’est lui qui bascule dans une autre réalité, au moment où sa femme « déraisonnable » entre en relation avec ce personnage mystérieux qui ne lui fait plus peur. Et le nourrit, l’apprivoise, l’humanise.
« Dans ce huis clos à trois personnages, impossible de tricher, affirme la réalisatrice. C’est un exercice de style « à l’os », qui va au bout des situations. Selon le regard que l’on porte sur lui, l’étranger fait peur ou attire. Le plus dangereux, finalement, n’est pas ce qui vient de l’extérieur. J’ai traduit de manière romanesque, presque fantastique, les angoisses qui nous travaillent tous en période de crise, économique ou personnelle. »
Le thème originel du film pouvait se résumer à « quelqu’un vit dans la maison de quelqu’un d’autre ; on entend des bruits, des choses disparaissent… »
L’étranger qui se glisse dans la maison n’était au départ qu’une figure abstraite. Hélène Angel la souhaitait presque désincarnée pour ne pas l’identifier socialement. Et puis elle a rencontré Vasil, un jeune roumain d’une vingtaine d’années, lors d’un casting sauvage dans un camp de gitans d’Argenteuil. Sa spontanéité, sa présence époustouflante à l’écran ont étoffé considérablement le personnage. « Il est vif, drôle, plaisante sans cesse avec l’équipe même s’il ne parle presque pas français [on l’aperçoit entre deux prises, en pantalon moutarde et pull vert fatigués, cheveux hirsutes, qui glisse un objet dans le col de la chemise immaculée de Charles Berling, l’air de rien]. J’espère que ça se verra à l’écran. J’aime aussi son regard qui traîne, toujours aux aguets.»
Pour jouer le couple Benoît/Claire qui fonctionne sur l’opposition entre maîtrise et émotivité, Hélène Angel a choisi Charles Berling et Valérie Bonetton. « La présence de Vasil, acteur non professionnel, les expose, c’est excitant sur le plan de la mise en scène. Valérie a été géniale aux essais, j’avais tourné mon premier court métrage il y a 15 ans avec elle et je suis heureuse de la retrouver. Sylvie Pialat, la réalisatrice était elle aussi très enthousiaste. Je suis bluffée par l’émotion qu’elle dégage, elle donne, elle ne fabrique pas. »
Charles Berling, qui a déjà tourné avec Valérie Bonneton dans" L’Heure d’été "en 2008, joue ce jour-là sans s’épargner une scène où il s’acharne violemment contre une porte fermée. On apporte en tout hâte des matelas pour amortir sa chute…
Propos recueillis par Sylvie Finand
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