Lancement d’un nouveau dispositif d’insertion des scénaristes en Auvergne-Rhône-Alpes
Même si le besoin en écriture scénaristique explose actuellement au sein des sociétés de production, il reste aujourd’hui très difficile pour un(e) jeune scénariste de s’insérer professionnellement en sortie d’études. Voilà le constat établi par la Cité européenne des scénaristes présidée par le scénariste et réalisateur Thomas Bidegain et dirigée par Pauline Rocafull, déléguée générale, et qui regroupe des professionnels du secteur. Pour tenter de remédier au problème, la Cité a lancé il y a deux ans en Ile-de-France un projet de centre de compagnonnage. Le dispositif vise à insérer professionnellement des scénaristes nouvellement formés en leur faisant suivre pendant plusieurs mois un projet d’écriture d’un scénariste confirmé.
Forte du succès de cette première opération, la Cité ouvre en cette fin d’année un nouveau centre de compagnonnage cette fois-ci en région Auvergne-Rhône-Alpes, en partenariat avec Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma et le Pôle Emploi Scènes et Images. La formation a été officiellement lancée mardi 20 décembre au Pôle PIXEL à Villeurbanne, où de nombreux temps forts de la formation sont prévus. La nouvelle promotion regroupe 6 scénaristes de la région : Hugo Apruzzese, Lise Etienne, Jordan Nourry, Mia Riocreux, Marion Roussel et Anna Vaillant.
Entretien avec Christel Gonnard, déléguée adjointe de la Cité européenne des scénaristes, Germain Gavuzzo, responsable du centre de compagnonnage, Marie Le Gac, responsable du développement à Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma, et Sabine Danquigny, directrice du Pôle Emploi Scènes et Images Auvergne-Rhône-Alpes.
Pouvez-vous présenter la Cité européenne des scénaristes ?
Christel Gonnard : La Cité européenne des scénaristes est une association d’intérêt général. Elle a pour vocation de renouveler les talents et les récits dans l’audiovisuel. Elle propose des formations, des actions culturelles et pédagogiques, dans le but de démocratiser l’accès au métier de scénariste et de faire monter en compétences des scénaristes en activité. L’engouement autour de la Cité et de sa première action – Le centre de compagnonnage, co-créé avec l’AFDAS – a été rapide car elle comble un trou dans la raquette et répond à un besoin clef : celui de la professionnalisation et de l’insertion des scénaristes. Ainsi, la Cité a réussi à fédérer de nombreux mécènes, comme France Télévisions, partenaire historique, puis le CNC, TF1, Mediawan, Newen, l’AFDAS et d’autres acteurs régionaux et locaux. La Cité est certifiée Qualiopi.
Qu’est-ce qu’un centre de compagnonnage et quel est son objectif ?
Le centre de compagnonnage est un dispositif qui s’adresse à des scénaristes ayant déjà une première formation, qui maîtrisent les bases de l’écriture scénaristique. Il vise à professionnaliser leur formation et à accélérer leur insertion professionnelle. Le principe est de placer un scénariste apprenant au sein d’une équipe d’écriture, sous la responsabilité d’un scénariste plus sénior : le scénariste-compagnon. Le scénariste-apprenant suit alors au quotidien son “compagnon”, sur un projet d’écriture. Ce projet, que ce soit de la fiction, de l’animation ou de la série, est forcément un projet signé avec une société de production. Le but pour le scénariste apprenant n’est donc pas de développer ses propres projets, mais bien de suivre pendant 4 mois toute la vie d’un projet qui n’est pas le sien.
C. G. : C’est d’autant plus important qu’aujourd’hui, un scénariste va essentiellement travailler sur les projets des autres, des projets dits « de commande ». Il faut donc savoir travailler en collaboration et bien connaître le marché pour lequel on va travailler.
D’où est venue l’idée de ce dispositif ?
G. G. : Le centre de compagnonnage est né d’un constat simple, partagé par l’ensemble du secteur, celui de la difficulté de l’insertion professionnelle des scénaristes. Il y a de très bonnes formations au métier de scénariste en France, mais la passerelle entre les études et le milieu professionnel est très fine, et souvent difficile à trouver. On dit qu’il faut généralement 3 à 5 ans pour réussir à vivre de ce métier quand on sort des études, ce qui fait qu’on perd beaucoup de gens talentueux, qui sont obligés d’abandonner cette carrière pour gagner leur vie autrement. Donc l’idée autour de la création du centre de compagnonnage, est d’accélérer cette insertion.
Marie Le Gac : C’est d’autant plus important de mettre en place un tel dispositif, qu’il y a un manque de scénaristes dans l’audiovisuel, notamment depuis l’arrivée des plateformes qui ont besoin de renouveler sans cesse leurs contenus. Cette demande se fait particulièrement sentir dans l’animation, qui produit de gros volumes avec des formats généralement courts. Ce sujet a été abordé lors du dernier festival d’Annecy. L’animation est un genre très présent en Auvergne-Rhône-Alpes, avec d’importants pôles qui y sont dédiés.
C. G. : D’après les statistiques, c’est en animation qu’il est le plus facile de s’insérer, pour un jeune scénariste. Malgré cela l’entrée dans le métier se fait principalement par cooptation : aucune annonce d’embauche par la filière. C’est donc tout l’intérêt du compagnonnage : créer du lien entre les producteurs qui cherchent des scénaristes, les scénaristes “installés” et les scénaristes qui veulent s’insérer.
Pourquoi vouloir implanter un centre de compagnonnage en Auvergne-Rhône-Alpes ?
G. G. : La Cité des scénaristes s’est rendue compte du fort potentiel de la région suite aux premières éditions du centre de compagnonnage en Ile-de-France, car plusieurs scénaristes étaient originaires d’Auvergne-Rhône-Alpes. Aussi, la présence du Bureau des Auteurs d’Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma a favorisé grandement l’implantation d’un centre de compagnonnage sur le territoire.
M. L. G. : Il y a déjà quelque temps que nous réfléchissions avec la Cité européenne des scénaristes à l’implantation d’un centre de compagnonnage en Auvergne-Rhône-Alpes. Cependant, Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma n’a pas de financement pour ce type d’opération. Tout s’est accéléré quand je me suis rapprochée début novembre de Sabine Danquigny de Pôle Emploi Scènes et Images, qui a l’habitude de travailler sur ce type de dispositif lié à la formation. Le projet l’a tout de suite intéressée, et elle a pu débloquer très vite les fonds nécessaires au financement de l’opération.
Sabine Danquigny : Effectivement, le centre de compagnonnage est totalement en adéquation avec notre travail à Pôle emploi Scènes et Images. Nous sommes une agence à compétence régionale qui intervient dans les secteurs du spectacle vivant, du jeu vidéo, des arts visuels et bien sûr, du cinéma et de l’audiovisuel. À ce titre nous accompagnons tous les demandeurs d’emploi et/ou intermittent du spectacle à la professionnalisation, à la sécurisation de leur parcours professionnel. C’est pourquoi il était important pour nous de prendre en charge le financement des parcours pour les 6 scénaristes apprenants.
Comment ont été choisis les scénaristes apprenants ?
M. L. G. : Il faut savoir que nous n’avons pas vraiment communiqué sur notre recherche de candidats, puisqu’un gros travail de détection des scénaristes émergents a été effectué par le Bureau des Auteurs d’Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma tout au long de ces 15 dernières années. C’est grâce à ce travail existant que le centre de compagnonnage a pu se monter si rapidement.
S. D. : Il y avait deux critères importants pour la sélection : les scénaristes devaient résider en Auvergne-Rhône-Alpes, et ils devaient être inscrits en tant que scénaristes au Pôle Emploi. Avec mon équipe, nous avons sourcé les candidats potentiels scénaristes apprenants. Chaque conseiller a proposé des profils de leur portefeuille qui répondaient aux critères : des profils de jeunes scénaristes ou de demandeurs d’emploi en projet scénariste. Nous avons aussi croisé nos fichiers avec Marie Le Gac.
M. L. G. : Nous avons finalement présenté, Sabine et moi, une liste d’une trentaine de noms à la Cité des scénaristes, qui en a retenu une quinzaine. Ces candidatures ont été soumises aux 6 scénaristes compagnons, qui ont chacun fait des rendez-vous en visio pour choisir eux-mêmes un scénariste apprenant avec qui travailler pendant 4 mois. Les 6 scénaristes apprenants retenus sont des jeunes ayant fait une première formation, soit liée aux métiers du journalisme, au droit audiovisuel, ou aux métiers de l’audiovisuel au sens large.
Comment s’est fait le choix des compagnons ?
M. L. G. : Avec l’aide d’Aurélie Malfroy-Camine d’Auvergne-Rhône-Alpes Tournages, on a identifié des profils de scénaristes séniors, 6 au total, évoluant dans le cinéma mais aussi dans l’audiovisuel, et qui pouvaient mentorer des apprenants.
G. G. : Ce sont des professionnels qui arrivent à un moment de leur carrière où ils ont envie de transmettre, et qui se reconnaissent dans ce mode de transmission. Beaucoup y voient aussi un moyen de progresser eux-mêmes, car la présence de l’apprenant à leurs côtés les pousse à réfléchir sur leurs propres méthodes de travail. Tous trouvent que cet échange leur est très bénéfique.
C. G. : Il est important de préciser que ce sont les scénaristes “compagnons” qui choisissent leur apprenant(e). On ne leur impose pas.
Quel va être le quotidien des apprenants pendant ces 4 mois de formation ?
G. G. : Les scénaristes apprenants vont suivre toutes les étapes des projets des scénaristes séniors, prenant part aux réunions d’écriture, aux writing rooms (sessions d’écriture à plusieurs, surtout présentes dans la série TV – NLDR), aux réunions avec les producteurs ou diffuseurs. L’idée est qu’ils appréhendent vraiment la globalité du métier, aussi bien les tâches artistiques, que les tâches plus business avec les autres professionnels du secteur.
La mission principale du scénariste apprenant est l’observation, mais on peut lui confier quelques tâches connexes à l’écriture, comme de la recherche documentaire, des comptes-rendus de réunion, ou des résumés d’épisodes. Il arrive tout de même que le scénariste apprenant se démarque par son travail, et qu’on ait envie de lui confier un travail d’écriture. Ça débouche alors sur un contrat d’auteur signé avec la société de production. C’est pour nous le meilleur des cas : cela veut dire que le scénariste s’insère, qu’il se professionnalise.
C. G. : En parallèle, on leur propose un parcours pédagogique construit avec une ingénieure de formation et l’AFDAS. Ce parcours est constitué de 5 modules relatifs aux situations “clés” du métier de scénariste. Car être scénariste, ce n’est pas juste “savoir écrire”, il faut aussi maîtriser d’autres compétences : savoir expertiser un scénario, vendre son projet, collaborer, etc…
G. G. : Et nous proposons enfin une troisième modalité pédagogique : des séquences réflexives, autre point clé de notre formation. Ce sont des séquences animées par un scénariste professionnel pendant lesquelles les apprenants partagent et reviennent sur ce qu’ils ont vécu avec leur scénariste compagnon. L’idée est de mettre en commun ce qu’ils ont appris, les méthodes, les process, etc. C’est d’autant plus important qu’ils suivent tous des projets très différents. En mettant des mots sur ce qu’ils ont fait et observé, ils continuent à intégrer, apprendre, formaliser.
Quelle progression est attendue à l’issue de la formation ? Les scénaristes apprenants sont-ils évalués ?
G. G. : En tant qu’organisme de formation certifié Qualiopi, on a des évaluations qui se rapportent à chacun des 5 modules, sur leur capacité à vendre une histoire, à écrire et réécrire, à faire de la recherche documentaire, à expertiser un scénario, etc.
C. G. : On leur demande aussi de produire un dossier professionnel qui présente leurs projets d’écriture en cours, mais surtout la façon dont ils se projettent sur le marché du travail. Ils peuvent très bien avoir envie de trouver un co-auteur, un réalisateur, un agent, être chargé de développement dans une société de production, candidater à un concours de scénario ou une résidence, etc. L’important est qu’ils soient bien “lancés” sur une logique “métier”.
Quel est le bilan des premières éditions du centre de compagnonnage en Ile-de-France ?
G. G. : En deux promotions, ce sont 26 scénaristes qui sont passés par notre centre de compagnonnage d’Ile-de-France, avec une moyenne d’âge d’un peu moins de trente ans. Généralement ce sont des profils qui ont déjà essayé pendant quelque temps de s’insérer dans le milieu sans y parvenir, ou alors qui occupaient un poste qui n’était pas exactement celui qu’ils souhaitaient, comme Hugo, qui travaillait dans une société de production, et qui veut aujourd’hui se consacrer à l’écriture.
Les résultats à la sortie sont très bons puisqu’on constate un taux d’insertion de 80%. Ce taux comprend aussi bien les contrats d’auteur, que les CDD ou CDI dans une société de production. Il faut aussi souligner un taux de satisfaction très élevé auprès de nos scénaristes compagnons, dont beaucoup souhaitent renouveler l’expérience !
Comment va être pilotée cette première promotion en Auvergne-Rhône-Alpes ?
G. G. : Le contact sur place va principalement se faire grâce au scénariste coordinateur, Elie-G. Abécéra, qui est originaire de la région, et qui sera directement en contact avec les apprenants, notamment lors des séances réflexives. La Cité européenne des scénaristes se rendra le plus souvent possible dans la région, car c’est très important pour nous d’être au contact des apprenants, de les suivre, d’animer le réseau. Aussi, l’avantage de cette nouvelle promotion est sa taille très réduite, qui permet un contact individualisé.
C. G. : On a aussi la chance d’être soutenus sur place par nos partenaires, Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma et le Pôle Emploi Scènes et Images, qui ont grandement facilité l’implantation du centre. On tient vraiment à les remercier. On est également très contents du partenariat avec le Pôle PIXEL, qui nous donne accès à ce lieu vraiment exceptionnel, au cœur d’un écosystème audiovisuel propice au bon développement de la formation.
Il y aura-t-il d’autres promotions en Auvergne-Rhône-Alpes ?
M. L. G. : Nous l’espérons. Nous réfléchissons à essayer de rendre l’opération pérenne, et nous recherchons des financements supplémentaires pour pouvoir passer de 6 à 10 apprenants dès l’année prochaine.
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